Économie du sport en Afrique : un potentiel à concrétiser
Pourvoyeur significatif de talents, le continent africain n’en reste pas moins le parent pauvre de l’économie sportive mondiale. La donne change néanmoins, lentement mais sûrement. Enquête sur un business prometteur, qui n’attend que d’être mis en valeur pour marquer (durablement) des points.
Les chiffres donnent le vertige : selon l’Organisation de coopération et développement économique (OCDE), l’industrie du sport au sens large (infrastructures dédiées, droits médiatiques et sponsoring, vente de produits dérivés) représenterait aujourd’hui 1200 milliards d’euros du PIB mondial. Des ordres de grandeur qui rappellent avec force que le caractère physique et ludique de cette activité est en réalité peu de choses face aux énormes enjeux économiques sous-jacents.
Or, sur ce point spécifique, « l’Afrique, terre de sport et pourvoyeuse de talents, ne profite pas suffisamment d’un secteur économique pourtant florissant au niveau mondial », rappelle l’African Sports & Creative Institute (Asci) – un institut panafricain dédié au sport et aux industries créatives –, qui a piloté la publication du livre Économie du sport en Afrique : réalités, défis, opportunités, paru en janvier 2022. Avec raison : l’économie du sport en Afrique représenterait à peine 0,5 % du PIB continental, contre 2 % en moyenne dans le reste du monde. En cause notamment, un manque de financement et de structuration des filières sport.
C’est le cas par exemple de la grande majorité des clubs de foot africains qui, en dépit de leur réelle popularité, n’en continuent pas moins de vivre chichement. Et le plus souvent en comptant sur de généreux mécènes locaux.
Impulser une dynamique
Les lignes bougent pourtant. Désireuse d’impulser une nouvelle dynamique, la Confédération africaine de football (CAF) a lancé le projet d’une Super Ligue des clubs africains dont l’objectif sera « [d’]améliorer la qualité du football africain et générer des revenus pour tous les clubs, qu’ils y participent ou pas », a assuré le président de l’organisation, Patrice Motsepe. Les États aussi s’y mettent, à l’image du Rwanda, qui a décidé de miser sur le sport en investissant massivement dans les infrastructures, les campagnes médiatiques et l’organisation de grands évènements sportifs.
Au vu de la hausse régulière des revenus touristiques du pays (+25 % encore en 2021, atteignant les 164 millions de dollars), en partie liés à ces nouvelles activités, la démarche semble payer. Mieux, cette ambition de faire du sport un levier de croissance est de plus en plus partagée – et mise en œuvre – sur le continent avec d’autres pays en pointe tels que la Côte d’Ivoire – où se déroule la Coupe d’Afrique des nations de 2024 – et le Sénégal, où se tiendront en 2026 les jeux Olympiques de la jeunesse. Autant d’initiatives qui, mises bout à bout, pourraient contribuer à « transformer le potentiel incroyable du sport africain en un véritable vecteur de croissance socio-économique », plaident les équipes de l’Asci.
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Un potentiel à concrétiser
Alors que l’industrie du sport représente 2 % du PIB mondial, la part de celle-ci tombe à seulement 0,5 % en Afrique. Une faiblesse qu’États africains, institutions et investisseurs cherchent de plus en plus à corriger, conscients des opportunités de croissance offertes par le secteur. Forbes Afrique dresse ici un panorama des initiatives prises sur le continent. Avec une part du PIB inférieure à 1 %, l’industrie du sport en Afrique est encore loin d’avoir donné la pleine mesure de son potentiel.
De fait, dans cette filière où les investisseurs privés se font encore désirer, l’État demeure le principal bailleur : selon une étude publiée en 2021 par l’African Sports and Creative Institute (ASCI), 19 États du continent représentant près des trois quarts de sa population ont investi en cumulé 1,67 milliard de dollars dans le sport en 2019, le Maroc pointant à la première place avec 350 millions de dollars de dépenses publiques consacrées au sport (1,1 % du PIB national).
Ce déficit de financement du sport africain s’accompagne par ailleurs d’une absence d’organisation structurelle, à laquelle s’ajoute le manque d’infrastructures sportives, constatent les acteurs du secteur interrogés. Dans la plupart des pays, un cadre légal et réglementaire favorisant l’émergence d’un écosystème du sport, notamment un cadre juridique en faveur des PPP, fait ainsi souvent défaut. Pour les acteurs privés souhaitant investir le marché du sport africain, les motifs de prudence ne manquent pas.
« Le sport africain est perçu comme un secteur très risqué du fait de déficiences structurelles nuisant au climat des affaires », note ainsi Mohsen Abdel Fattah, directeur général de l’African Sports & Creative Institute (Asci) et par ailleurs auteur du livre Économie du sport en Afrique : réalités, défis, opportunités. Le patron de l’Asci pointe également du doigt la difficulté qu’ont les investisseurs « à détecter des projets viables et le manque de professionnalisation des organisations sportives ».
Tirer au mieux parti de la dynamique positive actuelle
Convaincus du potentiel du secteur, certains investisseurs, privés ou institutionnels, ont toutefois commencé à se positionner sur la filière (SFI, Proparco, fonds d’investissement privés…) afin de tirer au mieux parti de la dynamique positive actuelle. La Basketball Africa League (BAL), dont la valeur est estimée à 1 milliard de dollars, a ainsi réussi à lever plus de 100 millions de dollars auprès d’investisseurs africains et étrangers, dont le milliardaire nigérian Tunde Folawiyo.
De fait, en termes de montants totaux engagés, le rapport 2021 de Pitchbook indique que les investissements privés annoncés entre 2001 et 2021 dans le sport en Afrique (620 transactions comptabilisées au total) ont représenté 27 milliards de dollars. « Des opérations principalement destinées à l’organisation de grands évènements tels que la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud (4,3 milliards de dollars engagés), la Coupe d’Afrique des nations et la Basketball Africa League », reconnaît le dirigeant de l’Asci.
Ces investissements ont beau être relativement concentrés sur quelques sports (football et basketball en premier lieu), ils n’en sont pas moins révélateurs d’un changement de narratif autour des opportunités économiques offertes par le sport sur le continent. Teta Ndejuru, la responsable du développement touristique au Rwanda Development Board, le dit sans ambages, « le sport est un vecteur d’employabilité des jeunes et de maintien des talents sur le continent ».
Dans la plupart des pays, un cadre légal et réglementaire favorisant l’émergence d’un écosystème du sport fait souvent défaut.
Bénin, Maroc et Rwanda en tête de peloton
Portés par cette volonté politique de mettre en place un environnement favorable à l’émergence d’une industrie sportive, le Bénin, le Maroc et le Rwanda rivalisent d’imagination.
Au Bénin, des formules ont ainsi été mises en place afin d’inciter les entreprises à investir une partie de leurs revenus dans le sport (sous forme de sponsoring notamment), en contrepartie d’allégements fiscaux. Élevant encore la barre, le « pays des mille collines » a quant à lui développé un véritable tourisme sportif à travers l’initiative Visit Rwanda, qui met à contribution les clubs de football d’Arsenal et du Paris Saint-Germain (PSG) pour « vendre » une image attractive du pays à l’étranger.
Une campagne de communication soutenue aussi par la réalisation d’infrastructures sportives de premier plan telles que la Kigali Arena ou encore l’organisation de compétitions internationales comme la Basketball Africa League, le Tour (cycliste) du Rwanda ainsi que le Championnat du monde de cyclisme, qui sera organisé par Kigali en 2025. Une première en terre africaine. En pointe sur ce sujet, le Gabon a opté pour une stratégie similaire, mêlant sport et tourisme, avec l’organisation de grands évènements sportifs internationaux (GESI) telle que la Tropicale Amissa Bongo ou la Road Race Bronze. Quant à la Côte d’Ivoire, elle a prévu avec le projet Agora la construction de 91 infrastructures sportives et culturelles afin d’emmener le sport dans les quartiers.
Davantage investir dans le sport de masse tout en nourrissant
Au final, pour réussir à faire émerger économiquement une industrie sportive africaine compétitive, « les États africains doivent davantage investir dans le sport de masse parce qu’il crée le marché le plus large, tout en nourrissant le succès du sport d’élite (marketing, droits télé…) », suggère Mohsen Abdel Fattah, qui se dit « optimiste quant à l’avenir de la filière sport africaine ».
Source : Forbes Afrique