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Economie

Rongé par l’inflation et la défiance, le Ghana s’effondre : « c’est la pire crise économique que j’aie connue »

Une délégation du FMI se trouve à Accra pour négocier avec le gouvernement un prêt de 3 milliards de dollars et le rééchelonnement de la dette.

Makola n’est plus que l’ombre de lui-même. L’effervescence qui régnait encore il y a six mois sur le grand marché d’Accra s’est éteinte. On ne joue plus des coudes dans les artères jadis saturées de passants et de marchandises. La capitale du Ghana suffoque : l’inflation a dépassé 40 % en octobre et le cedi a perdu la moitié de sa valeur face au dollar, figurant désormais au rang des monnaies les moins performantes du continent.

Les prix du logement, de l’eau, de l’électricité et du gaz ont augmenté de près de 70 %, ceux des transports et du carburant de 46 % – du jamais-vu depuis vingt ans. « On ne se déplace plus que sur nos pieds, on mange à peine », résume une vendeuse de pagnes du marché.

Car la crise est profonde. La dette publique du Ghana dépasse désormais 100 % de son PIB et le service de la dette absorbe la moitié des recettes de l’Etat. Le pays, de l’aveu de son ministre des finances, Ken Ofori-Atta, se trouve « en risque élevé de surendettement », alors que les réserves de change ont fondu de 9,7 milliards de dollars fin 2021 à 6,6 milliards en septembre.

Le gouvernement de Nana Akufo-Addo, qui vantait encore l’an dernier un « Ghana Beyond Aid » (le Ghana au-delà de l’aide), a donc dû ravaler sa fierté en juillet et appeler à la rescousse le Fonds monétaire international (FMI), dont il espère obtenir un prêt de 3 milliards de dollars.

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Une délégation du FMI a été dépêchée à Accra début décembre et le Ghana a lancé cette semaine une bourse de la dette intérieure, prévoyant de restructurer sa dette afin d’ouvrir la voie à un renflouement par l’institution de Washington. Jugeant probable que les créanciers privés subissent des pertes importantes, Moody’s vient d’abaisser de deux niveaux la note de crédit du Ghana, rétrogradé à « Ca », l’avant-dernière note de l’agence. Soit le même niveau que le Sri Lanka, qui est, lui, déjà en défaut de paiement.

Un repas par jour

Dans le quartier populaire de Kokomlemle, au centre de la capitale, Martin Wiafa tient une épicerie où il revend des produits de première nécessité achetés au marché de gros. Le commerçant de 60 ans est formel : « C’est la pire crise économique que j’aie connue. Ce que j’achetais 3 cedis au marché il y a six mois coûte aujourd’hui le double, dit-il. Pour réduire mes frais, j’ai dû arrêter de prendre les transports en commun, et pour dégager une petite marge, j’ai augmenté les prix à mon tour. »

Son épouse nous attire vers l’arrière-boutique pour montrer ses stocks décimés. Le congélateur, qui contient d’ordinaire « 70 ou 80 poulets à la fois », n’est rempli que de glaçons. La viande est devenue trop chère, les clients ne peuvent plus suivre. Le couple Wiafa lui-même a cessé d’en consommer, ou une fois par semaine quand les affaires sont bonnes. Le reste du temps, il se contente de céréales, de tubercules et de poisson salé. Pour pouvoir continuer de nourrir leurs quatre enfants, ils ne prennent plus qu’un repas par jour.

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Contrairement à son voisin ivoirien, le gouvernement libéral d’Accra n’a pas plafonné le prix des produits alimentaires de grande consommation. Mais il a consenti à augmenter le salaire minimum de 10 % et à introduire une indemnité de coût de la vie équivalant à 15 % de ce même salaire minimum, dont le montant passera à 14,88 cedis par jour (1,08 euro) au 1er janvier. Soit moins qu’une barquette d’igname et de poisson frit achetée dans une échoppe de rue.

« Nous sommes exsangues », résume Amadou Tijani, qui tient une minuscule boutique de vêtements dans un conteneur à Kokomlemle. « Les gens n’ont déjà pas de quoi manger, vous croyez qu’ils vont m’acheter des tee-shirts ? Avant, c’était moi qui faisais vivre ma famille éloignée. Aujourd’hui, je dois leur demander des virements d’argent mobile pour survivre. C’est humiliant », se désole le vendeur, qui a dû licencier ses deux employées. Avant la crise, il gagnait entre 1 000 et 2 000 cedis par semaine, dit-il, contre à peine 200 aujourd’hui (soit moins de 15 euros). Quant à faire des économies, mieux vaut l’oublier : depuis que le cedi a dégringolé, il faut dépenser l’argent à peine gagné, comme s’il brûlait les doigts.

« Eléphants blancs »

« Il n’existe pas encore de données à l’échelle nationale, mais on peut déjà deviner, à certains indicateurs, que le taux de pauvreté est monté en flèche », reconnaît l’économiste Peter Quartey, directeur de l’Institut de recherche statistique, sociale et économique (Isser) de l’Université du Ghana. Selon les données les plus récentes (2018), 24,2 % de la population nationale vivait déjà sous le seuil de pauvreté. « Les inégalités aussi augmentent, poursuit le professeur Quartey. C’est de toute façon le schéma qui se répète à chaque crise inflationniste : les pauvres s’appauvrissent tandis que les riches maintiennent bon an mal an leur niveau de vie. »

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Source : Le Monde

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