Le Mobile Money, une Success-Story africaine
En Afrique, l’innovation technologique a permis d’imposer la révolution de l’argent mobile, qui a durablement rebattu les cartes des services financiers sur le continent. Aujourd’hui, plusieurs solutions sont proposées, donnant lieu à un marché de plus en plus concurrentiel.
Avec 36,7 milliards de transactions et une valeur combinée de 701,4 milliards de dollars en 2021 soit plus des deux tiers des mille milliards de dollars ayant transité par tous les comptes mobile money mondiaux, l’Afrique est devenue, au cours de la dernière décennie, le leader mondial du mobile money. De fait, selon les données du State of the Industry Report on Mobile Money 2022, publié par l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA, Global System for Mobile Communications), le continent hébergeait en 2021 plus de la moitié des comptes mobile money actifs dans le monde avec 184 millions d’abonnés recensés (sur 346 millions).
Un marché très concurrentiel
Un business en constante progression, porté par le faible taux de bancarisation en Afrique (entre 5 et 20 % selon les zones et les sources, NDLR). Résultat : sur le segment du paiement mobile, les grands opérateurs du marché (Orange, Wave, MTN, Western Union, Ria…) se bousculent : à chacun son offre de portefeuilles mobiles et son approche du marché continental. Pionnier des transferts d’argent, le géant américain Western Union (500 000 agences physiques, cent mille kiosques et quatre-vingts milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel) spécialisé dans les transferts internationaux depuis une trentaine d’années, a ainsi très vite compris le potentiel des services associés à l’argent mobile et propose aujourd’hui des solutions d’envois de fonds vers les portefeuilles mobiles des bénéficiaires.
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Idem pour Ria Money Transfer (filiale d’Euronet Worldwide, un fournisseur américain de services mondiaux de paiement électronique), qui offre également des services d’envoi d’argent sur portefeuille mobile. Autre géant du transfert d’argent mobile, le groupe sud-africain MTN — fondé en 1994 et présent dans dix-neuf pays d’Afrique et du Moyen-Orient — totalise pour sa part, pour le seul segment du mobile money, près de cinquante-sept millions d’utilisateurs répartis sur dix-sept marchés en 2021, qui ont réalisé 10 milliards de transactions en 2021 représentant une valeur combinée de 239,4 milliards de dollars.
Également disponible depuis certains pays d’Europe (France, Belgique, Italie), Orange Money couvre quant à lui 18 pays du continent africain. L’opérateur français, qui propose un service 100 % digital, permet d’effectuer des transferts vers des comptes Orange Money ou partenaires, mais aussi de procéder à des dépôts et retraits, d’acheter du crédit téléphonique ou encore de payer ses factures. Une palette de services qui permet à Orange Money de revendiquer plus de 60 millions de clients, servis via 380 000 points de vente. Le tout pour un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros en 2020, soit près de 10 % des revenus totaux de l’opérateur français sur la zone Afrique subsaharienne.
Wave réalise la plus importante levée de fonds en série A pour une fintech opérant exclusivement en Afrique
L’opérateur français est toutefois bousculé désormais par un petit poucet qui avance à pas de géant, Wave. Lancée en 2014 par les Américains Drew Durbin et Lincoln Quirk, la fintech permet d’effectuer des transferts d’argent depuis l’Amérique du Nord et l’Europe vers onze pays (Kenya, Ouganda, Tanzanie, Ghana, Nigéria, Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, Liberia, Maroc, Madagascar).
En juillet dernier, la société a levé 200 millions de dollars, la plus importante levée de fonds en série A pour une fintech opérant exclusivement en Afrique auprès de plusieurs fonds, dont Partech et Sequoia Heritage, portant sa valorisation à 1,7 milliard de dollars. De quoi s’imposer de facto comme le leader sur les deux marchés où elle opère depuis 2020 et 2021, respectivement le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Une entrée dans le jeu pour le moins disruptive, qui a brisé la situation de quasi-monopole dont jouissait Orange.
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De fait, contrairement aux acteurs traditionnels, la start-up, qui ambitionne de faire de l’Afrique « le premier continent cashless du monde », s’est positionnée sur une offre ultra-compétitive, particulièrement attractive pour les couches populaires et vulnérables : là où les taux de commission sur les transactions de mobile money varient généralement entre 3 et 10 %, Wave pratique un taux unique de 1 % sur les transferts, le reste des opérations (factures, dépôt et retrait d’argent, achat de crédit téléphonique…), étant totalement gratuit.
Entre ces David et Goliath des télécoms, tous les coups sont désormais permis et la guerre des prix est ouverte. Dans ces conditions, Orange s’est logiquement aligné sur son redoutable concurrent, baissant considérablement le coût de ses prestations d’abord au Sénégal (de l’ordre de 80 %), puis en Côte d’Ivoire.
Une guerre des prix qui a mécaniquement affecté les affaires du groupe français. Présentant début août ses résultats du premier semestre 2022, la filiale sénégalaise d’Orange- l’opérateur télécoms Sonatel, par ailleurs présent au Mali, en Guinée, en Guinée-Bissau et en Sierra Leone – a reconnu que la contribution d’Orange Money (65,3 milliards) à son chiffre d’affaires semestriel avait reculé de 2,9 points en un an, Orange Money représentant 9,1 % des revenus de Sonatel, contre 12 % en 2021.
Pour Alioune Ndiaye, patron Moyen-Orient et Afrique du groupe, la menace Wave est bien réelle, et les dégâts occasionnés par sa stratégie sont énormes. « Orange a créé des dizaines de milliers d’emplois grâce au réseau de distributeurs Orange Money à qui revenait la moitié du chiffre d’affaires. Wave leur a fait perdre 50 % de leurs revenus », accuse notamment le dirigeant d’origine sénégalaise, ajoutant que « quelque 20 000 emplois ont été détruits au Sénégal. On en perdra peut-être autant ailleurs ».
En attendant, et malgré la rude concurrence qu’ils se livrent, ces nouveaux acteurs non bancaires du secteur financier ont considérablement transformé le paysage économique des pays où ils opèrent, permettant à des millions de personnes d’accéder à l’inclusion financière et générant de nouvelles opportunités pour les consommateurs, les entreprises, les prestataires de services et les États.
La valeur des transferts de fonds dépasse celle de l’aide publique au développement. Les transferts de fonds vers l’Afrique subsaharienne ont augmenté de 14,1 % pour atteindre un volume de quarante-neuf milliards de dollars en 2021, après une baisse de 8,1 % l’année précédente, selon les données de la Banque mondiale. En dépit de cette baisse, la valeur de ces transferts serait deux à trois fois supérieure à celle de l’aide publique au développement, contribuant significativement au PIB de certains pays comme la Gambie (33,8 %), le Lesotho (23,5 %), le Cap-Vert (15,6 %), les Comores (12,3 %), le Libéria (10 %) et le Sénégal (9,5 %).
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M-Pesa, le précurseur
M-Pesa compte aujourd’hui 604 000 agents opérant en RDC, en Égypte, au Ghana, au Kenya, au Lesotho, au Mozambique et en Tanzanie
Lancée en 2007 par l’opérateur Safaricom (filiale du géant britannique Vodafone), M-Pesa est la plateforme qui symbolise le mieux la révolution de l’argent mobile et des transferts de fonds sur le continent. Particulièrement adapté aux réalités locales, M-Pesa s’appuie sur un vaste réseau d’agents (plus de 110 000 agents M-Pesa au Kenya, soit quarante fois plus que le nombre de distributeurs automatiques de billets, selon le Groupe consultatif d’appui aux pays pauvres/CPAG, NDLR) constitué de petits commerces, stations-service, bureaux de poste et même d’agences bancaires traditionnelles disséminés sur l’ensemble du territoire national.
Y compris les localités les plus reculées. Le succès de ce système de micro-financement et de transfert d’argent par téléphonie mobile est aussi massif qu’immédiat, d’abord parce qu’il propose un modèle simple, mais également parce que la Banque centrale du Kenya (CBK) décide de ne pas s’opposer à l’arrivée de l’opérateur téléphonique dans le secteur financier, le percevant à juste titre comme une innovation en mesure de booster l’économie nationale, notamment dans le domaine du numérique.
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Source : Forbes Afrique