Le rôle de la FED dans les faillites bancaires
Les récentes faillites bancaires aux États-Unis semblent avoir une cause évidente. Les dépôts à la Silicon Valley Bank et à la Signature Bank n’étaient pas couverts, pour 90 % d’entre eux, par l’assurance fédérale, et ces dépôts sont naturellement les premiers que leurs clients chercheront à retirer.
En outre, les deux banques ont investi des sommes considérables dans des obligations à long terme, dont la valeur de marché a baissé à mesure que les taux d’intérêt augmentaient. Lorsque SVB a vendu quelques-uns de ces titres pour lever des fonds, les pertes jusqu’alors potentielles de son portefeuille d’obligations se sont révélées au grand jour. Une émission de capital ratée a ensuite déclenché la ruée sur les dépôts et scellé le destin de la banque.
Mais dans cette explication simple, quatre éléments suggèrent que le problème pourrait être plus systémique.
Premièrement, chaque fois que la Réserve fédérale des États-Unis engage des opérations d’assouplissement quantitatif (quantitive easing – QE), les dépôts ce type, non couverts par l’assurance fédérale, augmentent, car ces opérations incitent à l’achat de titres sur le marché en échange d’actifs liquides de la Banque centrale : le QE grossit non seulement la taille du bilan de la banque centrale, mais conduit aussi à une augmentation du bilan du système bancaire dans son ensemble et de ses dépôts exigibles mais non couverts par l’assurance fédérale.
Dans une communication présentée à la réunion annuelle des banquiers centraux sous l’égide de la Fed, à Jackson Hole, au mois de juillet dernier, nous attirions l’attention, mes coauteurs et moi-même, sur ce point trop souvent négligé. Tandis que la Fed renouait avec sa politique de QE, durant la pandémie, les dépôts bancaires non couverts par l’assurance fédérale passaient d’environ 5 500 milliards de dollars, à la fin de 2019, à plus de 8 000 milliards, au premier trimestre 2022. Les flux de dépôts à SVB sont passés de moins de 5 milliards de dollars au cours du premier trimestre 2019 à une moyenne de 14 milliards de dollars trimestriels durant la période de QE.
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Mais quand la Fed a mis un terme à cette politique, a monté ses taux d’intérêt et est assez vivement passée à une politique de resserrement quantitatif (quantitative tightening – QT), ces flux se sont inversés. SVB n’a pu constater l’augmentation des retraits de dépôts non couverts (dont certains coïncidaient avec le ralentissement du secteur de la tech – incitation supplémentaire pour les clients angoissés de la banque à en retirer leurs réserves en liquide).
Deuxième point : de nombreuses banques, une fois tirées d’embarras par la lance à incendie des dépôts, en ont profité pour acquérir des titres liquides à long terme, notamment des bons du Trésor et des créances hypothécaires titrisées, dans la perspective de réaliser des gains de portage : le spread des taux d’intérêt, qui fournit des rendements supérieurs à la rémunération des dépôts par la banque. Ordinairement, ce n’est pas trop risqué.
Les taux d’intérêt n’avaient pas connu, depuis un certain temps, de hausse significative, et même s’ils commençaient à grimper, les banquiers escomptaient que les déposants réagiraient, comme d’habitude, mollement, et se satisferaient encore longtemps de faibles taux de rémunération des dépôts, même quand les taux d’intérêt du marché auraient augmenté. Ainsi les banques se sentaient-elle protégées, tant par l’histoire que par la placidité des déposants.
Les choses, pourtant, se passèrent cette fois différemment : ces dépôts non couverts étaient volatils. Produits d’une politique de la Fed, leur flux devait nécessairement s’épuiser lorsque cesserait cette politique. Et comme les gros déposants peuvent coordonner plus facilement leur action, il n’en faut que quelques-uns pour déclencher une réaction en chaîne.
Même dans les banques solides, les déposants qui ont pris conscience du risque bancaire et des taux d’intérêt plus favorables pratiqués sur les marchés à court terme cherchent alors à récupérer leur part. Le spread profitable des taux d’intérêt entre les investissements et les dépôts qui somnolent est menacé, et la profitabilité de la banque, voire sa solvabilité, est mise en danger. Comme le veut le proverbe du monde financier : « Les gains de portage pavent la route vers l’enfer. »
Troisième point : les deux premiers ont pris une ampleur inédite. La dernière fois que la Fed a renoncé au QT et haussé ses taux, en 2017-2019, la hausse fut moins brutale et moins élevée ; en outre, le volume de titres sensibles à une hausse des taux détenus par les banques était moins important. Conséquemment, les pertes que les bilans des banques durent absorber furent faibles, et il n’y eut pas de mouvement de retraits précipités parmi les déposants, alors que les ingrédients étaient pourtant les mêmes.
Cette fois, l’ampleur des hausses de taux, leur rapidité et les portefeuilles d’actifs sensibles détenus par les banques, tout est multiplié, et l’Agence américaine de garantie des dépôts bancaires, la Federal Deposit Insurance Corporation, estime que les pertes non réalisées sur les portefeuilles de titres bancaires disponibles à la vente et détenus jusqu’à échéance pourraient à elles seules dépasser les 600 milliards de dollars.
Quatrième motif d’inquiétude : la coalition involontaire des instances de supervision avec l’industrie qu’elles sont censées superviser. Trop de superviseurs n’ont pas su voir que les banques étaient de plus en plus exposées à la hausse des taux d’intérêt, ou bien n’ont pas su contraindre les banques à réduire leurs risques. Si la supervision avait été plus vigoureuse (nous tentons encore d’évaluer dans quelle mesure elle y a manqué), le nombre de banques en difficulté serait bien moindre aujourd’hui.
S’ajoute toutefois un autre problème : les superviseurs n’ont pas soumis toutes les banques à une attention aussi exigeante que celle qu’ils ont accordée aux institutions les plus importantes (soumises, entre autres choses, à des stress tests). Ce « deux poids deux mesures » pourrait avoir précipité la migration des prêts immobiliers à risque sur les locaux commerciaux (souvenons-nous des bureaux à moitié vides durant la pandémie) des banques les plus grosses et les mieux capitalisées vers les banques petites et moyennes banques, relativement moins bien capitalisées.
On peut donc en déduire que si nombre des vulnérabilités dont pâtit le système bancaire sont imputables aux banquiers eux-mêmes, la Fed a aussi contribué au problème. Des accès périodiques de QE ont grossi le bilan des banques, gonflé par l’augmentation des dépôts non couverts, les rendant ainsi de plus en plus dépendantes de l’argent facile. Cette dépendance ajoute encore à la difficulté de renverser la politique de QE et d’entreprendre un resserrement monétaire. Plus cette politique de QE s’est développée, plus la durée en a été longue, plus la Fed devrait avancer lentement lorsqu’elle s’efforce de normaliser les bilans et, idéalement, lorsqu’elle augmente ses taux.
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Source : Lejecos