L’édition en Afrique, un secteur en plein essor
Alors que la littérature africaine a le vent en poupe, le marché de l’édition se développe sur le continent. Et s’adapte aux nouvelles habitudes de consommation d’un univers en quête de réappropriation de son identité culturelle.
Plombé par la pandémie de Covid-19, le marché mondial du livre reprend des couleurs. De l’ordre de 84,54 milliards de dollars en 2021, il passe à 89,25 milliards de dollars en 2022, avec un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 5,6 %, pour atteindre 105,27 milliards de dollars en 2026 (et un TCAC de 4,2 %), selon les projections du « Rapport mondial des éditeurs de livres 2022 » réalisé par Research And Markets.
L’Afrique, le prochain marché à conquérir dans le monde de l’édition
Si l’Asie-Pacifique est la région la plus importante sur ce segment de marché et si le Moyen-Orient est le lieu qui devrait connaître la plus forte croissance, l’Afrique, encore marginale, est là aussi – compte tenu de sa démographie et de la croissance de sa classe moyenne – le prochain territoire à conquérir. Comme ailleurs, l’offre numérique se développe sur le continent et séduit de nouveaux adeptes ; mais ici, l’heure est avant tout à l’édition de contenus plus adaptés aux consommateurs, que ce soit dans la catégorie livre scolaire ou de loisir. Cette tendance est favorisée par l’arrivée, aux côtés des géants mondiaux, d’acteurs locaux ou régionaux.
L’Afrique de l’Ouest, en tête du marché francophone
L’Afrique de l’Ouest s’affiche en tête du marché francophone. Deux pays y mènent la danse : la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Avec l’émergence d’une classe moyenne, avec aussi l’arrivée des « repats » (pour « repatriés »), familiers de certains types de consommation – notamment en matière de loisirs – et demandeurs de contenus « locaux », le marché est en plein essor. Comme à l’échelle mondiale, le secteur jeunesse reste le plus dynamique dans le monde de l’édition. Parmi les acteurs locaux, une pionnière, Voyelles Éditions. Créée par Adja Mariam Soro en 2015, cette maison des plus ambitieuses multiplie les initiatives destinées à promouvoir les industries culturelles et créatives made in Côte d’Ivoire, et plus largement made in Africa.
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Ses activités vont du livre au jeu vidéo à caractère ludique en passant par le dessin animé à travers le Studio Kä, autrement dit divers outils pédagogiques destinés au public jeunesse. Tous sont conçus avec le même objectif : « promouvoir une image plus valorisante de l’Afrique et se réapproprier et valoriser l’identité culturelle panafricaine ».
Celle qui veut créer un « Disney africain » et révolutionner le monde de la littérature jeunesse africaine s’appuie pour cela sur deux leviers : la réalisation de contenus ludiques et culturels ancrés dans le monde contemporain, et l’adaptation aux codes des enfants d’aujourd’hui. « Nous voulons que ceux qui seront les décideurs de l’Afrique de demain soient fiers de leur identité culturelle et de leurs origines », dit Adja Mariam Soro.
Reste à accéder aux marchés, locaux d’une part, régionaux ensuite… et ce face aux mastodontes du secteur. Dans ce combat digne de David contre Goliath, Voyelles a plus d’une lettre dans son cartable. Les contenus qu’elle produit sont d’ores et déjà distribués dans les écoles et bibliothèques de la place, ainsi que sur les chaînes de télévision pour les versions animées.
Des initiatives locales favorisées par un cadre réglementaire incitatif
De telles initiatives locales sont favorisées par un cadre réglementaire incitatif, qui répond à une volonté des États de disposer de manuels scolaires mieux adaptés à leurs programmes éducatifs. Ainsi les éditeurs ivoiriens bénéficient-ils d’une clause de préférence nationale pour les appels d’offres publics relatifs à la production de manuels scolaires.
Il en est de même chez le voisin sénégalais, ainsi qu’au Cameroun, leader sur le marché de l’édition en Afrique centrale, où des mesures incitatives ont été adoptées pour favoriser les éditeurs locaux lors des appels d’offres éducatifs. Mieux encore : au Maroc, un fonds a été spécifiquement créé en 2008 pour soutenir les éditeurs locaux. Résultat : le Royaume, qui compte plus d’une centaine de maisons d’édition, a pris la tête du marché de l’édition régionale, notamment sur le secteur du livre arabophone.
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Sans surprise, la demande en contenus locaux a également conduit les acteurs internationaux à adapter leur offre. C’est ainsi qu’Éditis, un des leaders français de l’édition, s’est implanté en Côte d’Ivoire – le marché le plus attractif pour celui qui veut se développer à l’échelle régionale –, à travers Nimba Éditions. « Dénicher les talents, les accompagner, travailler à offrir le meilleur de la créativité locale au grand public, telle est la vocation de Nimba Éditions », déclarait Vincent Barbare, directeur général, lors de la conférence de lancement de la maison, fin 2020.
« Nous voulons nous appuyer sur les talents locaux. Il nous faut donner des outils à ces talents pour s’exprimer ». Dès sa création, l’éditeur avait mis dix premiers titres sur le marché local. Et son ambition était présentée en ces termes par Sarah Mody, directrice éditoriale : « Ancrée dans la vie des Ivoiriens, Nimba Éditions veut offrir des lectures et des livres qui vont vous raconter des histoires, aborder des thèmes pratiques, vous divertir, vous former, vous faire rire aussi. En vous accompagnant, nous voulons être le reflet de la vie d’ici (…) Nous relevons et accompagnons des talents locaux qui parlent aux lecteurs et lectrices d’aujourd’hui. »
Une montée en puissance avec une croissance estimée de 12% à 26% d’ici 2030
Le numérique, de son côté, offre une nouvelle opportunité pour le marché du livre africain sur le continent. Longtemps considéré comme un produit de luxe en raison de son coût, le livre tend en effet à se démocratiser avec le développement d’une offre digitale. Ainsi, à côté des bibliothèques numériques, se développent également des maisons d’édition qui misent entièrement sur le numérique, comme Diasporas noires Éditions ou les Nouvelles Éditions Numériques Africaines (NENA), à Dakar.
De même, la multiplication des salons et foires du livre, partout en Afrique, participe à donner de la visibilité aux acteurs locaux. Non sans peine, ceux-ci parviennent à se frayer un chemin parmi les géants mondiaux de l’édition francophone, principalement français et québécois, suivis depuis peu par des éditeurs indiens et sud-africains.
Promis à une forte croissance d’ici 2030 (de 12 % à 26 % selon les sources), le marché du livre francophone fait des envieux. Et pour cause : le nombre de francophones dans le monde (300 millions aujourd’hui) pourrait être de 750 millions de personnes en 2050. Et quand on sait que l’Afrique, par sa démographie, en représentera alors près de 85 %, on se dit que le continent a là, indéniablement, une carte à jouer.
Source : Forbes Afrique